Chez nos amis de la Belle Province (8)
En ce jour ensoleillé, le pick-up est de sortie pour nous amener, sous la conduite experte de Claude Boivin, dans un lieu impressionnant : la chute de la Chaudière. Nous traversons sur plusieurs dizaine de kilomètres le territoire innu dans lequel s’étend à perte de vue la forêt d’épinettes. Ce bois, exploité pour la pâte à papier, pousse naturellement dans cette région et occupe une grande partie de l’espace.
épinettes (une espèce d'épicéa)
Mais nous entendons souvent notre chauffeur
évoquer les coupes à blanc pratiquées par les compagnies forestières au
détriment de toute la biodiversité et des lieux chargés d’histoire.
Il le fait lorsque nous croisons les gros
engins de transport chargés de bois et roulant à toute vitesse sur la route
principale ; Claude nous montre également la technique particulière des
forestiers qui laissent une bande non exploitée en bordure de la route et
coupent systématiquement toute la partie arrière.
Mais une fois abandonnée la route principale
et emprunté les chemins boueux et troués, l’atmosphère se détend et nous nous
attardons sur les crottes d’ours noirs laissées en plein milieu du
chemin ; ou sur les bleuets qui ont bien mûri et dont la couleur orne les
bas cotés ; ou encore, nous observons les très nombreux lacs parsemés à travers une alternance de collines
ondulées et de terres basses.
Puis tout à coup, le pick-up s’arrête et nous
terminons à pied : nous arrivons au bord de la rivière Ashuapmushuan, là
où elle constitue la chute de la Chaudière.
Impressionnant ! La rivière est
majestueuse et sauvage et lâche des gerbes d’eau qui montent à plusieurs mètres
de hauteur ; ce sont d’immenses tourbillons d’eau, de brumes qui s’offrent
en spectacle. Les eaux de la rivière s’insinuent entre les rochers, dévalent
les chutes de plusieurs centaines de mètres de long, se cognent contre les
berges, rebondissent contre d’autres énormes blocs de pierre ; le tout
multiplié en plusieurs endroits et avec un grondement sourd qui nous donne
l’impression d’être bien petits à côté de cette nature pleine d’énergie.
Cette énergie a permis de creuser la roche
dans tous les sens et ainsi, de vastes rochers troués dont on ne devine même pas le fonds, parsème les bords de
la rivière ; l’eau y pénètre par le bas et ressort par le haut, écumante,
faisant penser à de vastes chaudières.
Gérard Massip et Claude Boivin
L’Ashuapmushuan, c’est en langue innu « là où on guette l’orignal ». Autrefois utilisée dans les expéditions de la route des fourrures reliant la baie d’Hudson à Tadoussac, la rivière représente une valeur patrimoniale importante pour les Innus qui la fréquentaient depuis longtemps ainsi que les coureurs des bois pour se rendre dans les régions où les animaux à fourrure pullulaient.
l'orignal ou élan du Canada
Mais cette énergie de la dernière rivière sauvage du Québec est convoitée ; des projets de barrage sont de temps en temps mis en débat ; jusqu’ici, la pression populaire des québécois, et pas seulement des Innus, a fait reculer les promoteurs de ces projets. Mais le débat reste ouvert, y compris au sein du conseil de bande de Mashteuiasth, du moins nous a t-il semblé.
Ouananiche ou saumon du lac St Jean
Impétueuse et sauvage, l’Ashuapmushuan compte les plus importants sites de reproduction de la ouananiche, ce poisson endémique du Lac Saint-Jean, sorte de saumon-truite qui ne se trouve que là et qui a bien failli disparaître il y a de cela quelques années. ( à suivre)
Gérard Massip