Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Oklahoma-Occitania
Visiteurs
Depuis la création 754 613
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Oklahoma-Occitania
  • Échanges culturels entre les Occitans de France et les Indiens d'Amérique (USA, Canada) : tribus Osage, Kiowa, Comanche, Cherokee, Pawnee, Choctaw, (Oklahoma), Lakota (Sud Dakota), Innu (Canada), etc.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Pages
17 avril 2009

Souvenirs d'OK-OC (3)

Invité chez les Kiowas

kiowaseal2


Vanessa6

Ceux qui ont rencontré ces dernières années Vanessa Jennings, à Montauban ou ailleurs en Occitanie, se souviennent sans doute de cette personne attachante. Elle était identifiable à sa tenue traditionnelle. Le port des nattes, d'une robe indienne, des leggings et des mocassins perlés est un signal fort qui marque une volonté d'introduire les valeurs traditionnelles dans le monde moderne.
A y regarder de près on se rend compte que mocassins et téléphone peuvent coexister sans inconvénient et que les nattes parées de perles ne nuisent en rien au pianotage sur ordinateur.
J'ai retrouvé Vanessa sur sa terre dans la région de Fort Cobb, quelque part entre Anadarko et Carnegie, au cœur de l'Oklahoma profond. J'étais loin de me douter que chez les Kiowas j'allais faire, par dessus les siècles, le plus formidable grand écart de mon existence.


Kiowa3


Vanessa conduit sa grosse et puissante voiture comme n'importe quelle américaine : sagement. Nous quittons la route peu après Fort Cobb pour emprunter un chemin de terre défoncé. Derrière nous la poussière rouge flotte longtemps au-dessus de la prairie immobile et apparemment déserte. Quatre ou cinq kilomètres de ce parcours cahoteux nous emmènent chez Vanessa. La voiture s'arrête à deux cents mètres de la maison. Nous n'y entrerons pas. Nous sommes face à un imposant dôme de terre et d'herbe sèche qui émerge du sol. Au trou rond qui s'ouvre au sommet du dôme pour l'évacuation d'une fumée je reconnais le toit d'une vaste cabane à-demi enterrée. L'entrée est à l'ombre, le soleil est déjà bas sur l'horizon, très loin à l'ouest.

mandan3

Longue d'une dizaine de mètres, l'étroite galerie de branches, de terre et de paille descend en pente douce vers l'intérieur de la cabane souterraine. Une agréable odeur d'herbe sèche m'envahit comme j'avance vers la lueur qui scintille au fond du refuge. Une ampoule électrique éclaire faiblement la vaste pièce ronde. Le sol est en terre battue, une argile craquelée par la sècheresse. Au centre, les tisons, les cendres et les grosses pierres noircies indiquent une présence.

mandan

Plusieurs personnes, assises sur des chaises pliantes, sont en discussion sous la lumière, près de la paroi. Vanessa me conduit vers le groupe en contournant le foyer par la gauche. Avec déférence elle me présente à son oncle Gus Palmer, chef de la société des guerriers aux jambières noires. Il me serre la main. Une seule fois, à la manière indienne. Un autre homme âgé, coiffé d'un Stetson blanc, puis un troisième plus jeune, me saluent de la même manière. Vient ensuite le tour des femmes, les épouses des deux homme âgés. Je suis invité à m'asseoir sur une banquette recouverte d'une couverture disposée au fond d'une alcôve creusée dans la terre de la paroi, face à l'entrée. C'est la place d'honneur. On m'y laisse seul, sans plus de façons. La conversation reprend à quelques mètres de moi sans que je sois invité à y prendre part. Je mets à profit ce moment de solitude pour mieux observer le décor.

mandan5

Quatre gros piliers ronds de bois sombre soutiennent la charpente carrée de laquelle partent les poutres porteuses du toit. Nous sommes dans un puits rond d'une douzaine de mètres de diamètre rehaussé d'une construction faite d'un hachis de branchages, de terre et d'herbe qui s'élève d'une égale hauteur au dessus du niveau du sol. L'avantage d'un tel habitat est évident : il y règne une relative fraîcheur qui repose de la canicule extérieure. Dans la paroi de terre sont creusées, à intervalles réguliers, des alcôves avec banquette à couverture indienne, semblables à celle où je me trouve. Divers objets sont accrochés au mur : lances et arcs, bâtons à coups, boucliers, grandes coiffes de plumes d'aigles, clubs de stick-ball. Je ne suis pourtant pas dans un musée ; ces objets appartiennent à des Kiowas bien vivants qui les utilisent lors des cérémonies. La discussion continue tranquillement, à quelques mètres. J'observe le petit groupe à la dérobée, du moins c'est ce que je pense. Les visages ridés disent le grand âge, mais l'œil demeure vif et la chevelure noire. Le plus jeune, un homme d'une quarantaine d'années, porte les cheveux longs et libres dans le dos. Je risque un regard vers lui, en vain. Tous feignent de m'ignorer. Attendons...

Vanessa m'a abandonné pour s'occuper de son fourneau, près de la paroi, à droite de l'entrée. Elle m'apporte ensuite un repas dans un plateau compartimenté. Un gobelet en plastique contient la soupe : des cubes de viande bouillie et de pomme de terre. A côté, trois lames de viande séchée accompagnées d'une poignée de chips. Dans le creux voisin une salade de fruits.. Une petite boule de pain et un grand verre d'eau fraîche complètent le menu. En ma qualité d'invité j'ai été servi le premier. Les autres personnes sont servies ensuite en commençant par "Uncle Gus", puis les hommes dans l'ordre d'un âge décroissant et enfin les femmes. Pendant que nous mangeons en silence, Vanessa attend près du fourneau à gaz. Dès que j'ai terminé elle me prend le plateau et me propose un autre verre d'eau. Puis elle dessert les autres invités selon le même protocole et se retire dans son espace cuisine. Je suis ici depuis une heure et, mis à part l'intermède du repas silencieux, il ne s'est encore rien passé. Ma patience va être récompensée.

L'Indien au chapeau blanc se lève, prend son siège et vient s'installer à côté de moi. J'attends qu'il m'adresse la parole. La conversation s'engage sur le temps, exceptionnellement agréable cet été en Oklahoma. Je réponds en décrivant les étés montalbanais et la suite s'enchaîne naturellement. Lui me parle de la deuxième guerre mondiale qu'il a faite en Europe après le débarquement (j'apprendrai le lendemain à ma grande surprise qu'il était lieutenant-colonel de l'infanterie américaine). Je lui parle de "la mienne", la guerre d'Algérie et de la paix vers laquelle il faudrait aller aujourd'hui pour la sécurité de la planète.

Gus_Palmer

Uncle Gus, jusque là, n'avait paru prêter aucune attention à notre conversation mais je savais qu'il m'observait depuis le début. Lorsque je commençai à parler de l'avenir de la terre, des générations futures et de notre responsabilité à leur égard, il vint installer sa chaise pliante près de nous, suivi aussitôt de l'Indien aux cheveux longs. Les femmes s'étaient retirées avec leur chaise près de l'entrée. Seule, Vanessa se tenait discrètement à l'écart, debout à quelques mètres derrière les hommes.

vanessa12Vanessa avait tenu à cette rencontre. Elle me l'avait dit juste avant son départ de Montauban, deux semaines plus tôt. On savait donc que j'allais venir, que j'étais Français et Occitan. C'est bien de cette dernière identité-là que j'étais venu parler et je sentais que la question suscitait quelques attentes. Je m'engageai donc, d'abord prudemment puis avec enthousiasme au fur et à mesure que je voyais croître l'intérêt, vers une tentative de définition de la culture occitane, résumant à grands traits son histoire, agrémentant de quelques anecdotes et parlant des traditions, mélangeant tout : la langue, les valeurs, l'humour. Que les puristes, les érudits et les félibres me pardonnent : j'ai bien dû laisser passer quelques erreurs et parfois me laisser emporter par mon élan. Je parlais avec le cœur, j'aime ça et les Indiens aussi.

Je leur ai dit alors notre inquiétude devant le risque d'assimilation , et de disparition de notre culture occitane. A son tour, Uncle Gus m'a fait part de la sienne, non moins vive et m'a parlé des efforts qui étaient faits pour sauver ou ranimer tout ce qui pouvait l'être. Notre présence ici-même, en cet endroit hors du temps, ne portait elle pas témoignage d'une volonté de préserver la tradition ? Alors, fallait-il revenir à la chasse à l'arc et à la traction animale ? Pouvait-on sérieusement envisager une régression ? Sans que la question ne fut posée, mes interlocuteurs y répondirent.

Sherman2

La tradition était un trésor de connaissances accumulées au cours des âges et aussi l'un des moyens de communiquer avec les ancêtres. Nul peuple ne pouvait s'en passer sous peine d'être condamné à disparaître après s'être perdu dans le dédale d'une société moderne de plus en plus complexe. La sagesse des anciens devait nous permettre de traiter le nouveau avant de l'intégrer ou de le rejeter s'il était jugé dangereux pour les générations à venir. L'art, sous ses formes antiques aussi bien que modernes, pouvait également aider à se situer et se reconnaître. J'appris ainsi, ou plutôt je crus comprendre au détour d'une phrase, que le plus jeune des trois hommes était un artiste dont certaines œuvres avaient été commandées par un musée de New York.

ShermanNe posez jamais directement à un Indien une question d'ordre personnel ; c'est impoli. J'annonçai donc, en regardant par terre, mon intention d'offrir un cadeau à un artiste s'il y en avait un dans l'assistance. Sherman Chaddlesone se leva alors sans croiser mon regard. Je lui offris une croix occitane qu'il accepta en me serrant la main, une fois. Les autres personnes reçurent le même présent. J'en expliquai les symboles et tous m'écoutèrent attentivement et apparemment avec grand intérêt.

occitseal

Avec des phrases lentes d'une grande éloquence, entrecoupées de silences mesurés et soulignées de gestes du langage des signes, Uncle Gus m'assura que je serais toujours le bienvenu ainsi que les autres Occitans qui souhaiteraient parler aux Kiowas. " Nous préservons notre culture, me dit-il, vous avez le même souci, alors nous pouvons nous comprendre et nous entraider. "


La nuit était tombée depuis longtemps sur la prairie. Les deux grosses voitures s'éloignèrent rapidement emportant les Kiowas vers un autre rendez-vous, à une centaine de kilomètres, au Texas. Un pow-wow était organisé chez les Comanches. Les Black Leggings Kiowa Warriors y étaient invités. Une heure plus tard j'étais dans ma chambre de motel à Anadarko, rédigeant le compte-rendu de cette soirée.

A la télé CNN diffusait des images d'horreur. La guerre faisait rage en Yougoslavie.

13 septembre 1992 - Anadarko, Oklahoma - Jean-Claude Drouilhet

Publicité
Publicité
Commentaires
M
...pas de légendes sont condamnés à mourir de froid a écrit Patrice de la Tour du Pin.Je crois qu'il en va de même pour les cultures, sauf cette circonstance aggravante, le colonialisme, sous toutes ses formes.Le temps a du passer lentement dans un premier temps avant de défiler à la vitesse grand V quand une "fureur poétique occitane" vous a saisi avec des mots et des phrases qui coulent naturellement parce qu'elles viennent du fond du coeur.On parle toujours bien de ce que l'on aime.<br /> Je vous souhaite une belle fin de semaine Jean-Claude.
Répondre
Publicité