Objets sacrés ou pièces de collection ?
par Marie-Claude Strigler
Aux Etats-Unis, une loi de 1990 protège les sépultures, objets funéraires, restes humains et objets faisant partie du patrimoine culturel. C’est le Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA), la loi sur la protection des sépultures et sur le rapatriement des objets sacrés (1). En vertu de cette loi, les musées, agences fédérales et universités qui reçoivent des fonds fédéraux sont tenus de recenser les objets amérindiens qu’ils détiennent et d’en informer les tribus concernées, qui peuvent en demander la restitution. L’origine de cette loi est la recherche qu’a faite un Cheyenne dans les années 1980 pour une pipe sacrée dont il avait besoin pour une cérémonie. Il avait entendu qu’elle se trouvait probablement à la Smithsonian à Washington. Il prit un rendez-vous et eut accès aux réserves. Là, il fut effaré de voir l’énorme quantité de « restes humains » au musée ; informées, les tribus s’en sont émues. Elles veulent pouvoir donner une sépulture à leurs ancêtres.
Toutes les tribus ne demandent pas le rapatriement de leurs objets sacrés, considérés comme des entités vivantes ; il y a néanmoins une coopération entre les tribus et les musées et universités, quant aux modes de conservation et surtout, à l’interdiction d’exposition au public. Entités vivantes, les objets sacrés ne peuvent théoriquement être vendus. Or, cette loi n’est applicable qu’aux Etats-Unis. Depuis plus d’un an maintenant, Paris semble être devenu le lieu privilégié pour les ventes aux enchères de kachinas (2) et de masques cérémoniels (la prochaine aura lieu le 27 juin).
Les premières ventes ont soulevé un véritable tollé ; les Hopis, entre autres, ont tenté de s’y opposer, sans succès évidemment. Survival International a également protesté. Lors d’une vente précédente, une fondation américaine a racheté la presque totalité des masques afin de les restituer à la tribu. L’affaire a fait beaucoup de bruit dans les médias français, ce qui était contraire aux vœux des tribus, car cela risque de révéler des informations censées rester secrètes.
Le gouvernement fédéral est conscient qu’il y a un problème, d’autant plus qu’en France, la notion d’objet sacré est étrangère. Or, Les Etats-Unis ont une nouvelle juge fédérale, la première femme amérindienne : Diane Humetewa, une Hopi, qui vient de passer une semaine à Paris, afin de parler de NAGPRA et d’envisager avec les responsables français une possible coopération pour protéger les objets sacrés amérindiens et ce qui, dans leur patrimoine culturel, est indispensable à leur identité et ne peut donc pas être une propriété individuelle. On remarque en passant que les Amérindiens qui ont fait des études supérieures en droit ne sont pas rares…
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1. NAGPRA fait suite à toute une série de lois, la première étant celle de 1906, la Loi sur les Antiquités, qui protégeait le patrimoine contre les fouilles clandestines, très nombreuses dans le Sud-Ouest. J’ai interviewé des Navajos qui se souviennent avoir vu des files de voitures le week-end, chargées de gens armés de pelles et de pioches. Il faut bien admettre que certains Amérindiens non traditionalistes faisaient la même chose et vendaient leurs trouvailles. Or, pour que la loi sur les Antiquités soit applicable, il fallait que les objets datent d’au moins 100 ans, ce qui excluait tous les objets sacrés postérieurs, pourtant indispensables pour les cérémonies.
Entre temps, il y eut l’adoption de la loi sur la liberté de religion des Amérindiens (AIRFA) de 1978, qui leur garantissait, entre autres, l’accès à leurs lieux sacrés, même s’ils sont situés hors de leur réserve actuelle. Des étapes successives ont donc été franchies les unes après les autres, si bien que les tribus sont aujourd’hui libres de leur choix dans ce domaine.
2. Les Kachinas, sont souvent appelés « poupées kachinas ». Il en existe toute une variété, car ils représentent tout le panthéon pueblo (surtout hopi). Leur nombre n’est pas fixe, car il peut en apparaître des nouveaux, suivant les circonstances. Il ne s’agit de toute façon pas de jouets, bien qu’ils soient sculptés (en général dans du peuplier de Virginie – cottonwood - ) à l’intention des enfants. Ils ont un but éducatif, pour leur apprendre à connaître toutes ces déités. Mais les objets les plus « sacrés », qui soulèvent le maximum de protestation pour les ventes aux enchères sont les masques car, lors des danses, les Êtres Sacrés viennent habiter le danseur, et le masque couvre véritablement le visage de l’Être sacré lui-même puisque nul n’est cessé le voir à visage découvert.
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Dimanche 20 juillet - 18 heures
Festival "Cultures du Monde"
Gannat (Allier) - Auvergne
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