La mobilisation des Sioux
Que ferait Sitting Bull ?
Marie-Claude Strigler
La mobilisation des Sioux (Lakota) de la réserve de Standing Rock (Dakota du nord) contre la construction d’un oléoduc géant, qui passerait à quelques centaines de mètres à peine des limites de leur réserve, ne cesse de prendre de l’ampleur aux États-Unis. De nombreux Amérindiens d’autres tribus et des militants de la justice climatique ont rejoint le gigantesque campement de tipis et de tentes organisé par les opposants.
Les Lakota craignent une contamination de leurs sources d’eau potable et la destruction de sites sacrés. Ils dénoncent aussi, plus globalement, la destruction de leurs terres et le mépris dont ils font encore l’objet par les entreprises et l’administration américaine.
Le projet Dakota Access Pipeline a été moins médiatisé que le projet d’oléoduc KeyStone XL car il a fait l’objet d’une procédure d’autorisation accélérée, qui lui a évité les déboires administratifs rencontrés par ce dernier. Il est néanmoins comparable en termes de tracé (1800 kilomètres) et d’enjeu : en l’occurrence, acheminer le pétrole de schiste extrait dans la formation de Bakken jusqu’à l’État de l’Illinois et, au-delà, jusqu’aux raffineries du Texas et la côte Est des États-Unis.
Le projet Dakota Access Pipeline et les entreprises qui le portent sont soutenus financièrement par une ribambelle de grandes banques internationales, parmi lesquelles les groupes bancaires français, extrêmement investis dans le financement des énergies fossiles : BNP Paribas, le Crédit agricole, Natixis et la Société générale figurent parmi les banques qui ont directement financé le projet Dakota Access Pipeline. La tension a monté d’un cran sur le terrain au cours du mois d’août avec l’arrestation de leaders indiens, puis le 3 septembre avec le début des travaux, qui a donné lieu à des affrontements. Les agents du shérif ont même lâché les chiens sur les manifestants (un enfant a été mordu) et les ont gazés. Une décision de justice provisoire a fait cesser temporairement les travaux dans une partie seulement des terres que les Lakota souhaitent protéger. D’autres recours sont en instance.
Winona Laduke*, militante et femme politique amérindienne, a été interviewée par Yes Magazine, et a donné des éléments d’information.
À la mi-août, le président tribal de Standing rock, Dave Archambault II, a été arrêté par la police de l’État, avec 27 autres personnes, pour son opposition à l’oléoduc Dakota Access. Dans le même temps, le gouverneur du Dakota du Nord Jack Dalrymple demandait des renforts de police. Or, tout grand projet d’oléoduc ou de gazoduc en Amérique du Nord ne peut que traverser des terres autochtones.
Le peuple Lakota a survécu à beaucoup de choses. Forcés à mener une existence confinée dans leur réserve, les Lakotas s’efforcèrent de stabiliser leur société, jusqu’à ce qu’arrivent les barrages. En 1944, le barrage Pick Sloan priva les tribus de la rivière Missouri de leurs meilleures terres. Le barrage Oahe inonda à son tour plus de 800 kilomètres carrés des réserves de Standing rock de Cheyenne River, entraînant des déplacements de population et la destruction de lieux sacrés lakotas.
Aujourd’hui, plus de deux tiers de la population de Standing Rock vit au-dessous du seuil de pauvreté. Il ne leur reste qu’une partie de la terre et la Rivière Mère. Ce sont justement elles qui sont menacées.
L’oléoduc Dakota Access a reçu toutes les autorisations officielles, qui prennent soin de ne pas affecter l’approvisionnement en eau de la ville de Bismarck , en déplaçant son parcours vers les sources d’eau des Lakotas. Pas de chance pour les Lakotas !
Malgré les recours juridiques et réglementaires de ces derniers, la construction de l’oléoduc a commencé en mai 2016. Il doit franchir 200 cours d’eau et, dans le seul Dakota du Nord, il traverserait 33sites historiques et archéologiques.
Fin juillet, la tribu Sioux de Standing rock, représentée par l’organisation Earthjustice, a déposé plainte devant un tribunal de Washington contre l’US Army Corps of Engineers (l’administration fédérale en charge de nombreux grands projets d’infrastructures). Standing rock a également dé posé un recours auprès de l’Organisation des Nations-Unies en coordination avec l’International Indian Treaty council(une organisation internationale de peuples indigènes).
Dans une interview accordée au New York Times, le président Archambault (lakota), explique : La première version de l’évaluation du tracé proposé à travers nos terres ancestrales et protégées par traités, réalisée par l’entreprise, ne mentionnait même pas notre tribu.
Il n’est tenu aucun compte de la santé de la rivière Missouri. Aujourd’hui, le Missouri est la septième rivière la plus polluée des États-Unis. Les rejets agricoles et, désormais, la fracturation hydraulique ont contaminé la rivière.
À Standing Rock, le nombre de manifestants contre l’oléoduc ne fait qu’augmenter ; aussi le gouverneur de l’État, Jack Dalrymple, a-t-il déclaré l’état d’urgence. Selon Wynona Laduke, « il pourrait bien avoir outrepassé ses prérogatives en violant les droits humains et civils, dont le droit à l’eau. »
De nombreuses personnes présentes aujourd’hui à Standing rock se souviennent de leur histoire et notamment de la longue confrontation de Wounded Knee en 1973. De fait, il y a parmi les militants de Standing Rock des gens qui étaient déjà en 1973 à Wounded Knee, une lutte similaire pour la dignité et l’avenir d’une nation. Ils doivent se souvenir de ce que disait Sitting Bull il y a 150 ans : « Réunissons nos esprits pour voir quel avenir nous pouvons construire pour nos enfants. » M-C. S.
_______________
* Winona Laduke est une femme politique ojibwe, militante en faveur du développement durable. Elle a été candidate du parti des Verts à la vice-présidence des États-Unis en 1996 et 2000, avec Ralph Nader.