Sam Begay
Un grand homme-médecine
Marie-Claude Strigler
Sam Begay, un grand homme-médecine Navajo nous a quittés le 13 janvier dernier. Il faisait partie de l’Association des hommes-médecine navajo, dont le nombre ne cesse de se réduire. En effet, l’apprentissage des rites guérisseurs traditionnels demande d’énormes efforts de mémorisation. Il s’agit de se souvenir de centaines de prières, de chants, et de nombreuses peintures de sable. Les jeunes, qui doivent aujourd’hui avoir des emplois salariés, peuvent difficilement consacrer assez de temps à ce long apprentissage.
Qui était Sam Begay ? Sa vie est loin d’avoir été linéaire : jeune, il a été envoyé dans des écoles-pensionnats où il a appris le métier de plombier. Il était fier d’annoncer qu’il était « plombier diplômé ». Ce fut d’abord l’école de mission de Ganado, en Arizona, puis l’école biblique évangélique de Phoenix. Ces écoles étant tenues par des missionnaires chrétiens, il a été chrétien… Après la deuxième guerre mondiale, il s’est engagé dans l’armée et a été stationné en Allemagne dans les années 1950, ce qui lui a ouvert les yeux sur le monde extérieur et l’a amené à réfléchir. Résultat ? De retour dans la réserve, il est revenu à la tradition et a commencé le long apprentissage pour devenir homme-médecine et mettre son savoir au service des autres. Il avait une connaissance approfondie de la spiritualité navajo, qui lui a permis de participer activement au développement du droit coutumier de la tribu et d’être membre de la Commission pour la réforme du gouvernement tribal.
Il était très préoccupé par la disparition des traditions et des rites guérisseurs (auxquels les Navajos font toujours très souvent appel) et a souhaité faire connaître sa culture et la partager, y compris en Europe. C’est pourquoi il a accepté plusieurs fois de venir en France, à Paris, à Limoges, à Die dans la Drôme, et la dernière fois à Paris où il a fait une conférence au Musée du quai Branly – Jacques Chirac, à la fin de laquelle il a tenu à faire une prière de bénédiction pour le public, qui était subjugué. Il était avec sa femme Aileen, qui est « diagnostiqueuse », déterminant l’origine des maladies par la méthode de la main tremblante.
Pour se présenter, comme tout bon Navajo, il devait annoncer le clan auquel il appartenait. Sam était donc du clan de la Grande Eau, et il était « né pour » le clan du père, c’est-à-dire pour le clan du peuple des Joues rouges (l’ocre rouge dont ils se peignent les joues pour les cérémonies). Il se définissait aussi par le clan des grands-parents : ses grands parents maternels étaient du clan des habitants des falaises, et ses grands parents paternels étaient du clan de l’eau amère. Enfin, n’oublions pas de citer son arrière-grand-père, Ganado Mucho (nombreux bétail), l’un des célèbres chefs qui ont négocié le retour des Navajos en 1868 dans une réserve située sur une partie de leur ancien territoire, entre leurs quatre Montagnes sacrées, après quatre années de déportation à Bosque Redondo.
Nous avons connu Sam Begay au début des années 1990 et, après une petite période de méfiance, nous sommes devenus assez proches pour qu’il souhaite que nous enregistrions nos conversations sur les mythes navajos, sa vision du monde, sa pratique de la cérémonie de la Voie de l’Ennemi, un rite guérisseur pratiqué pour les guerriers qui revenaient du combat*. Après la fin des guerres indiennes, cette cérémonie avait pratiquement disparu et a connu un renouveau avec la guerre du Vietnam, et les interventions américaines en Irak, en Afghanistan… Il a aidé des jeunes Navajos de retour en Amérique à retrouver leur équilibre.
M-C. S.
photos : Edgard Strigler
-----------------------------------
* Moi, Sam Begay homme médecine navajo - Marie-Claude Feltes-Strigler - OD. éditions - Indiens de tous pays (collection Nuage rouge)