C'était le PRINTEMPS INDIEN au château de Bioule (1)
Les Osages
à l'école dans un château
L'école publique du village de Bioule, dans le Tarn-et-Garonne, n'est pas comme les autres. Elle est la seule en France à fonctionner dans un château du XIème au XIVème siècle. C'est cet insolite anachronisme que nous avons voulu faire vivre à nos invitées Erica Pretty Eagle Moore et Terry Mason Moore.
Nous y sommes arrivées par une belle matinée de printemps le mardi 16 mai vers 10 heures. Monsieur le maire, Gabriel Serra et sa première adjointe, Florence Danthez, accueillaient nos invitées, ambassadrices de la nation Osage en Oklahoma.
Une visite du château médiéval s'imposait. M. le maire a l'habitude de tenir le rôle de guide, notamment devant les caméras des équipes de reportage envoyées par les multiples chaînes de télévision. C'est donc en quasi professionnel qu'il a retracé l'histoire de cette imposante bâtisse longtemps habitée par les seigneurs de la famille Cardaillac.
Evy traduisait pour nos invitées et Michel fixait les images dans sa boîte numérique (on ne dit plus "sur la pelliculle" aujourd'hui). Une classe d'enfants de l'école travaillait dans la cour du château, là où justement se situaient les lices des joutes médiévales tandis que les belles dames se pressaient dans les galeries en surplomb. Les enfants ne s'en étonnent plus depuis longtemps ; nos invitées si.
Notre petit groupe a ensuite fait le tour du village et à la fin de la matinée une sympathique réception nous réunissait à la mairie où Erica reçut une médaille de la ville.
Le repas était prévu à la cantine scolaire qui mérite davantage le nom de restaurant intergénérationnel. Car parmi les enfants on remarquait la présence de personnes âgées. Une mixité conviviale bien appréciée nous a-t-il semblé. Encore un anachronisme : les (arrière) grands-parents et les (arrière) petits-enfants partageant un même menu centré sur un plat de moules-frites, sans doute plutôt rare en Oklahoma.*
C'est l'après-midi que le travail a commencé. Nous nous sommes rendus dans la classe CP-CE1 de Jean-Marc Bouysset. Les enfants n'étaient pas au courant. l'effet de surprise fut total. C'était une amorce pédagogique calculée.
Troisième anachronisme : des Indiennes d'Amérique dans le monde moderne. Explication : pour la plupart des enfants et des adultes, les Indiens sont des personnages de bandes dessinées et du cinéma américain. On les croyait disparus depuis longtemps sauf quelques-uns qui devaient encore vivre sous les tipis et chasser le bison à cheval. Nous bousculions le préjugé... C'est le commencement de la sagesse. Et l'âge de la sagesse, c'est précisément celui des enfants de sept à huit ans qui accueillaient nos invitées venues d'un pays lointain.
Le programme de cet après-midi scolaire était bien sûr adapté à l'âge des enfants. Nous l'avions intitulé "Langues, langages et expression corporelle". Nous avons commencé par les langues.
La langue anglaise que parlent tous les Osages fut la première concernée. Les enfants y sont initiés par leur enseignant. Aussi ont-ils commencé par se présenter dans la langue de Shakespeare, avec force contorsions parfois, mais toujours avec grâce.
De là nous sommes passés à la langue osage. Presque éteinte il y a quinze ans, la langue du peuple Osage a été patiemment sauvegardée par une poignée de collecteurs passionnés et enseignée dans toute la communauté. Un système graphique a même été inventé pour en traduire toutes les sonorités ce qui en fait aujourd'hui une langue écrite alors que seule la tradition orale l'exprimait autrefois. Maintenant, elle s'imprime aussi.
Avec un jeu d'une dizaine de planches plastifiées, présentant un animal familier sur une face et son nom en langue et graphie osages sur l'autre, Erica a joué à la maîtresse, avec un plaisir à l'évidence partagé. Des langues nous sommes passés aux langages.
Le langage des signes des Indiens d'Amérique était autrefois une sorte d'espéranto gestuel entre des peuples parlant plus de trois cents langues différentes. Erica en a fait une démonstration très grâcieuse sur un fond musical apaisant. Les enfants, étonnés, posèrent de nombreuses questions en fin de séquence.
Mais, a fait observer Jean-Marc Bouysset, nous utilisons nous aussi un langage des signes quand le silence ou la distance l'imposent. Quelques exemples proposés et d'autres trouvés par les enfants permirent de comprendre leur caractère international et ce que "parler avec les mains" veut dire.
Et les animaux ? Ont-ils aussi un langage des signes ? Qu'exprime un chien qui remue la queue à la vue d'un sucre ? Que dit un chat qui fait le gros dos ? etc. Ce petit jeu a bien amusé les enfants qui ont fourni d'autres exemples.
Le temps avait passé vite. Cela faisait environ une heure et demie que les enfants étaient assis sans qu'aucun encore n'ait manifesté l'envie d'aller faire un tour ailleurs. Ils avaient besoin d'activité physique. Mais avant cela ils voulaient remercier leurs invitées osages et, avec l'accompagnement de Jean-Marc et de sa guitare, ils les ont remerciées en chanson. Le "chant de la classe" mettait en scène chacun des écoliers qui à tour de rôle se présentaient avec sa particularité. "L'école dans un château" revenant en boucle au refrain.
Et c'est alors que le grand écart historico-culturel s'est produit. Nous sommes tous allés dans la salle des chevaliers sur les murs de laquelle d'authentiques fresques montrent encore les Preux du Moyen-âge.
Pour y faire une activité improbable : pratiquer une danse sociale des Indiens d'Amérique dans un cadre médiéval occitan. La Native American Round Dance réunit tout le monde, Indiens ou non, grands et petits, de tous les pays représentés. C'est une danse sociale de tous les pow-wows des Indiens d'Amérique. Les enfants et les adultes se sont donnés la main en formant une ronde ; on a lancé le chant rythmé par le tambour et la ronde a uni les êtres de la famille humaine, abstraite de l'espace-temps. Sans le savoir, les enfants ont reconstitué le cercle sacré des Indiens d'Amérique. Mais leur inconscient l'a certainement imprimé sur une mémoire enfouie dans leurs circonvolutions.
Pour clôturer cet après-midi à Bioule, il nous restait à accomplir un acte solennel, porteur de message aux générations futures : planter un arbre. Le plaqueminier, ou persimon ou encore kaki est un arbre fruitier originaire du Japon. Le fait qu'il ait été planté par des Indiens d'Amérique et des Français d'Occitanie accentue son caractère exotique à valeur universelle. Dans les années à venir, les personnes qui en mangeront les fruits ne pourront pas l'ignorer. Le village de Bioule y veillera.
Les enfants ont vaillamment participé à l'enfouissement de la motte et à l'arrosage. Ainsi, ils pourront dire à leurs enfants : "tu vois cet arbre, c'est moi qui l'ai planté en coopération avec deux Indiennes d'Amérique". C'est ainsi qu'on sème la paix.
Jean-Claude Drouilhet
photos : Michel Monesma
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* vous n'allez pas le croire : en 2013 à Pawhuska (Oklahoma), on nous a servi devinez quoi... une bouillabaisse ! La mondialisation n'a plus de limite.
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