Les visiteurs de Blérancourt
Le musée franco-américain
de Blérancourt (Aisne)
par Marie-Claude Strigler
Devenu le musée de l’amitié franco-américaine, le château de Blérancourt, construit en 1612, fut démantelé à la Révolution, ce qui explique qu’il y ait dans le village tant de maisons construites en magnifiques pierres de taille !
Alors que les troupes allemandes se repliaient vers le nord au printemps de 1917, les ruines du château furent confiées à Anne Morgan, troisième fille du riche banquier et collectionneur américain John Pierpont Morgan. Anne Morgan et les 350 femmes bénévoles qui se sont succédées au sein du Comité américain pour les régions défavorisées (le CARD), participèrent activement à la reconstruction morale, sociale et matérielle d’une région détruite à 90% lors du conflit mondial.
Au lendemain de la guerre, Anne Morgan rachète le château, fait restaurer en 1924 les deux pavillons d’angle, puis en 1930 l’aile nord du château, suivi par l’aile sud en 1938.
Jeune fille riche, Anne fait le désespoir de sa mère : elle ne veut pas se marier, déclare qu’elle ne veut surtout pas avoir une vie de riche oisive comme sa mère. Dans l’Aisne, elle crée des dispensaires, des écoles, des bibliothèques mobiles, ancêtres des bibliobus.
Pendant la guerre, son ami Ford lui envoie des voitures et les jeunes paysannes apprennent à conduire et peuvent ainsi participer à l’aide apportée à la population.
La guerre finie, le château restauré, Anne rassemble des collections, des milliers de photos et de films et un certain nombre d‘objets qui révèlent son intérêt pour les Indiens d’Amérique, un intérêt qui date de sa jeunesse, où elle aimait s’habiller en Indienne pour des soirées costumées. On peut en voir le résultat aujourd’hui en visitant le musée.
La naissance de l’amitié franco-américaine
Les relations franco-américaines s’officialisent avec le soutien français en la personne de Louis XVI à la révolution américaine menée par George Washington. De nombreux jeunes Français s’enrôlent comme le marquis de La Fayette, pour l’amour de la liberté et l’enthousiasme face à la construction d’un monde nouveau. Le 6 février, un premier traité de Versailles est signé et près de 10 000 soldats français participent à la guerre d’Indépendance. Le 3 septembre 1783, le traité de Versailles reconnaît l’indépendance de la République fédérée des États-Unis d’Amérique.
Un tableau de Jean Suau (de 1784) est une allégorie de la France offrant la liberté à l’Amérique. Et l’Amérique est représentée par un Indien portant une coiffe à plumes.
Représentations françaises des Indiens
Au fil des siècles et suivant la nature des relations américaines avec les Amérindiens, l’image qu’en avaient les Français a considérablement évolué.
Au XVIIIe siècle, artistes et écrivains puisent à des sources documentaires scientifiques, fruits de voyages et d’observations. Les deux ouvrages de référence édités au XVIIIe siècle, sont les Mœurs des Sauvages Amériquains comparées aux mœurs des premiers temps (1724) du jésuite Joseph François Lafitau, et l’Histoire et description de la Nouvelle France (1744) de Pierre-François Xavier de Charlevoix.
Dès le XVIe siècle, les Français ne semblent pas nourrir de préjugés à l’encontre des populations indiennes. Engagés dans la traite des fourrures, les coureurs de bois se familiarisent avec les langues et coutumes indiennes et « s’indianisent » en partageant la vie quotidienne des tribus.
Les relations ne sont pas à sens unique : depuis 1536, un certain nombre d’Indiens d’Amérique du Nord ont fait le grand voyage d’Europe. Ils découvrent Paris, sont reçus à la Cour, nourrissent l’imaginaire d’écrivains comme Rabelais et Montaigne, et alimentent le mythe du Bon Sauvage cher à Rousseau.
Dans les salles d’exposition du musée, on découvre l’estampe de François Séraphin Delpech, d’après un dessin de Louis Léopold Boilly, représentant les « Osages. Peuplades Sauvages de l’Amérique Septentrionale ».
Les allégories ne manquent pas : une porcelaine anonyme du XVIIIe siècle intitulée « l’Amérique enfant » représente un enfant coiffé de plumes et muni de flèches symbolise à la fois l’Amérique en devenir et les peuples amérindiens, alors considérés comme l’enfance de l’humanité.
Le portrait de « La Guimard en costume de’Amérique » par Antoine Vestier, date de 1779. La célèbre danseuse de la Comédie française, puis de l’Académie royale de musique, Marie-Madeleine Guimard apparaît vraisemblablement comme une allégorie de l’Amérique, coiffée de plumes pour le ballet Mirza et Lindon, de Maximilien Gardel, largement tombé dans l’oubli depuis.
En 1889, la première tournée française du Wild West Show, offre à Rosa Bonheur, peintre animalière, l’occasion de rencontrer des Indiens de la troupe de Buffalo Bill, et de faire quelques portraits. Avec sa lance, son bouclier de peau, son plastron et ses mocassins, le « Peau-rouge assis » est probablement le chef sioux oglala Rocky Bear.
Bien qu’il ne représente pas la vision des Français, un tableau de Catlin a une place d’honneur parmi les œuvres exposées. C’est « Le jeu de balle indien », une peinture à l’huile de 1846, qui représente plusieurs centaines d’Indiens Chactas et Creeks jouant au jeu de balle. George Catlin était un ardent défenseur de la cause indienne et désirait attirer l’attention des puissants sur le sort funeste des Amérindiens.
Plus proches de nous, deux œuvres qui datent de la première guerre mondiale sont particulièrement frappantes.
- Un fragment de l’avion de Harold Buckley Willis. Cette toile peinte vient du fuselagede l’avion de Harold Buckley Willis, engagé dans l’AFS (American Field Service) en 1915, puis pilote de l’escadrille La Fayette. Il en redessine l’emblème : une tête de guerrier sioux, image de bravoure, auquel il ajoute la swastika, symbole indien de renouveau. Il faut bien noter que la swastika indienne tourne dans le sens contraire de la swastika nazie, qui est le sens du mal.
- La deuxième est un emblème peint sur un véhicule de la SSUI, avec une tête d’Indien. La Section sanitaire n°1 est créée par Piatt Andrew en janvier 1915. L’année suivante, le Français Jean Tardieu dessine son emblème, une tête d’Indien inspirée de celle figurant sur les pièces d’or de 5 dollars.
Parmi les visiteurs du musée, certains se demandent s’il est encore judicieux de l’appeler « Musée de l’amitié franco-américaine » en raison des ombres qui planent actuellement sur nos relations, et qui sont, espérons-le, très temporaires !
Afin de retrouver notre sérénité, nous sommes allés nous promener dans le « Jardin du Nouveau-Monde », création récente, où sont plantées les principales essences et plantes américaines, en quelque sorte, ce qui se fait dans région de Montauban.
photos : Edgard Strigler