Diogène chez les Osages
La légende de
Tonnerre-Qui-Gronde
« Je cherche un homme », disait Diogène, marchant en plein jour dans les rues d’Athènes en s’éclairant d’une lanterne. Il voulait dire par là qu’il cherchait un homme vrai, bon et sage.
Pawhuska (Oklahoma) : début du vingtième siècle.
Vingt-cinq siècles plus tard Jonh Stink lui répondait de Pawhusha :
« J'ai entendu une voix du vent qui passe
« Elle m'a fait signe de chercher le passé qui s’enfuit
« Je n’ai trouvé que quelques fragments qui restaient
« J'ai capturé ce que je pouvais saisir. »
Tous deux étaient des riches
Tous deux étaient des ermites vivant pauvrement
Tous deux aimaient les chiens perdus
Diogène était cynique (il voulait vivre comme un chien). Il logeait dans un tonneau (en fait une outre)
John Stink était cynophile (il vivait entouré de chiens). Il logeait dans une cabane à l’écart de la civilisation.
Tous deux ont vécu longtemps.
Comme les Grecs, Les Osages ont leur Diogène, ce philosophe cynique qui, rejetant les bienfaits de la civilisation, vécut, dit-on, une partie de sa vie en ermite dans un tonneau.
L’ermite osage, quant à lui, s’appellait John Stink ce qui pourrait (presque) se traduire par Jean-qui-Pue et qui, on en conviendra, ne serait pas flatteur. (Dans le choix des patronymes dont il affubla les Indiens, l’état-civil américain fit parfois preuve d’un humour douteux.) Son véritable nom osage était Ho-Tah-Moie, ce qui signifie Tonnerre-qui-Gronde et a une autre allure, on en conviendra.
Tonnerre-qui-gronde donc défraya la chronique de la Presse des années 1920 qui, dans tous les Etats de l’Union, titra sur « L’Ermite millionnaire » et tartina d’interminables articles sur cette insolite situation.
Il était né vers 1863, alors que les Osages vivaient encore au Kansas d’où ils furent quatre ans plus tard invités à déguerpir pour occuper une nouvelle réserve au nord de l’Oklahoma. D’une belle stature, puisqu’il mesurait plus de 1 mètre 80, Tonnerre-qui-Gronde excellait dans l’art de la chasse et aimait la vie libre qu’il menait au sein de sa tribu. On comprend qu’il eut bien du mal, comme beaucoup de ses semblables d’ailleurs, à s’adapter à la vie dans la réserve qui n’était ni la vie des Indiens ni celle des Blancs mais une vie d’assisté.
En 1906, l’allotment act attribuait à chaque Osage recensé un lot de terrain pris dans la réserve avec les parts d’actions pétrolières correspondantes. Chaque Osage vivant fut donc doté d’un revenu considérable qu’il ne gérait d’ailleurs même pas le plus souvent, cette gestion étant dévolue à un tuteur - blanc, faut-il le préciser ? - désigné par le Bureau des Affaires Indiennes. La dislocation de la vie tribale qui s’ensuivit, l’abandon des traditions, la perte des repères et de l’identité exercèrent les ravages que l’on imagine. Cela explique le refus de Tonnerre-qui-Gronde. Refus d’une vie factice, dépourvue de sens et de spiritualité. A sa manière, Tonnerre-qui-Gronde entra en résistance.
Il s’enfonça dans la prairie, au sud de Pawhuska et s’installa avec ses chiens dans un abri sommaire où il passa le restant de ses jours, fuyant la compagnie des humains hormis quelques rares amis de son peuple dont un sourd-muet, Louis Pah-se-topah, avec lequel il communiquait en langage des signes.
Les sollicitations ne lui manquèrent pas, comme on s’en doute. Les articles de presse faisaient leur effet et les propositions de mariage, émanant « d’admiratrices sincères » autant que désintéressées, affluèrent de toutes parts.
Tonnerre-qui-Gronde fit le sourd et consacra son existence à Wah-kon-Tah, à l’amour de la vie et de la terre-mère, à l’amitié et à ses chiens. Il mourut le 16 septembre 1938.
Diogène, le cynique, cherchait un homme en s’éclairant de sa lanterne en plein jour. A quelques siècles près et sur un autre continent, il l’aurait trouvé en la personne de John Tonnerre-qui-Gronde, le cynophile.