Une femme blanche chez les Wanpanoags
L’ENVOL DU MOINEAU
d’Amy Belding Brown
(Editions 10-18)
par Elrick Fabre-Maigné
Ce roman, inspiré d’une histoire vraie, éclaire d’un jour nouveau un épisode fameux de la colonisation de la Nouvelle Angleterre, dresse un tableau édifiant de la vie quotidienne au XVIIe siècle, non seulement des communautés de Puritains, mais aussi des tribus amérindiennes qui ont eu le malheur de se trouver sur leur passage. Et surtout il peint un beau portrait de femme.
1672. Mary, bonne mère, bonne épouse, souffrait de la rigidité morale étouffante qui régnait parmi les siens. Si elle essayait d'accomplir tous ses devoirs, elle se sentait comme le moineau du titre, un oiseau en cage. Celle-ci va être ouverte de façon violente lorsque des Indiens ont attaqué son village, en représailles des raids de l’armée sur les villages Wampanoags et l’ont faite prisonnière.
statue de Massasoit, chef des Wanpanoags à Plymouth
Mary a dû alors épouser le quotidien souvent terrible de cette tribu en fuite, traquée par l'armée, où certaines individualités ne la ménageaient pas. Contre toute attente, c'est au milieu de ces «sauvages» qu'elle a trouvé une liberté qu'elle n'aurait jamais imaginée. Les mœurs qu'elle y a découvertes, que ce soit le rôle des femmes, l'éducation des enfants, la communion avec la nature, lui ont fait remettre en question tous ses repères. Et, pour la première fois, elle a enfin pu se demander qui elle était et ce qu'elle voulait vraiment vivre. «Libérée» contre une rançon, cette renaissance s'est difficilement accoutumée d'un retour «à la normale», dans une société blanche dont l'hypocrisie lui était désormais insupportable ? Mais il y a heureusement retrouvé l’amour de ses enfants survivants et d’un homme bon, et finalement un certain bonheur, sans pouvoir toutefois oublier cette autre vie qui lui avait été révélée par son passage dans unetribu désormais décimée.
Cette magnifique épopée romanesque, inspirée de la véritable histoire de Mary Rowlandson, est à la fois un portrait de femme bouleversant et un vibrant hommage à une culture bouillonnante de vie et de respect de la nature comme des autres humains, que la «civilisation» s’est efforcée d’anéantir.
Jim Fergus, auteur (d’origine pyrénéenne par sa mère) de la remarquable trilogie «Mille Femmes Blanches» (que je vous recommande chaudement, si vous ne l’avez déjà lue (1),l’a salué en ces termes : «Dès la première page, Amy Belding Brown propulse le lecteur directement au cœur sombre de l’Amérique puritaine du XVIIe siècle et ne le lâche plus jusqu’à la fin. Ce livre, basé sur un travail de recherche monumental, est une chronique passionnante des premiers antagonismes entre le monde des Indiens et celui des Blancs. Inspiré d’une histoire vraie, c’est un superbe roman à la fois violent, tragique, courageux et édifiant. Notre cœur bat au rythme de celui de l’héroïne, cette femme extraordinaire qui, en dépit de tout, non seulement survit, mais triomphe de son destin.»
La tribu décrite est celle des Wampanoags, également appelés Wôpanâaks, un peuple amérindien autrefois prospère et vivant en parfaite harmonie avec la nature, Notre Mère la Terre. Au XVIIe siècle, ils formaient une confédération de plusieurs tribus. Au moment du premier contact avec les colons anglais, ils vivaient dans le sud-est du Massachusetts et dans le Rhode Island, un territoire qui comprenait les îles de Martha's Vineyard et de Nantucket. Leur population se comptait par milliers: 3.000 Wampanoags vivaient rien que sur Martha's Vineyard!
De 1615 à 1619, lesWampanoags ont subi une épidémie, longtemps soupçonnée de variole, contenue dans les couvertures que les colons et l’armée leur distribuaient si généreusement. La recherche moderne a suggéré qu'il pourrait s'agir plutôt de la leptospirose, une infection bactérienne qui peut se transformer en syndrome de Weil. Cela a provoqué un taux de mortalité très élevé et décimé les Wampanoags. Il est désormais avéré que ces colons britanniques ont ainsi inventé la guerre bactériologique et par là provoqué le début de ce qui sera un génocide sur toute l’Amériquedu Nord: les chercheurs suggèrent aussi que les pertes dues à l'épidémie étaient si importantes que les colons ont pu établir plus facilement leurs colonies dans la colonie de la baie du Massachusetts... Plus de 50 ans plus tard, à l’époque où se situe le récit, la guerre du roi Philippe (1675–1676) -- qui apparaît dans le récit -- des survivants Indiens contre les colons et leurs alliés amérindiens, a entraîné la mort de 40% de la tribu survivante. De nombreux hommes Wampanoags ont été vendus en esclavage aux Bermudes ou aux Antilles, et certaines femmes et enfants ont été réduits en esclavage par les colons de Nouvelle-Angleterre. La tribu a en grande partie disparu des archives historiques après la fin du XVIIIe siècle. Mais quelques survivants ont continué de vivre dans leurs zones traditionnelles et ont conservé de nombreux aspects de leur culture, tout en absorbant d'autres peuples par les mariages et en s'adaptant à l'évolution des besoins économiques et culturels de la société dans son ensemble. Les derniers locuteurs des langues Massachusett, Wôpanâak, Narragansett,sont morts il y a plus de 100 ans. Depuis 1993, des membresde Wampanoag travaillent pourtant sur un projet de renaissance du langage, en commençant par y éduquer les enfants. Comme de nombreux peuples amérindiens, ils ont failli disparaître, mais aujourd'hui, le peuple Wampanoag comprend cinq tribus officiellement reconnues: la tribu Mashpee Wampanoag et la tribu Wampanoag de Gay Head dans le Massachusetts par le gouvernement fédéral, et le Herring Pond, Assawompsett-Nemasket Band of Wampanoags et Pocasset Wampanoag Tribe (Pokonoket) par le Commonwealth du Massachusetts (2).
Ce roman historique, ou «roman vrai»comme dirait Anne Brenon (3), la grande historienne spécialiste des Cathares, nous renseigne sur le mode de vie de cette tribu, dans des conditions climatiques extrêmes, aggravées par la chasse à l’homme incessante et impitoyable des colons et de l’armée à leur égard (4). Et que pour survivre, il leur fallait s’astreindre à une discipline draconienne à laquelle l’héroïne se pliera difficilement au début, parfois brimée par des rapports de pouvoir inévitables, avant de découvrir la grande humanité de ces soi-disant «primitifs» dont nous avons toujours beaucoup à apprendre.
On voit là qu’il ne faut pas faire d’angélisme ; les bons sauvages d’un côté, les méchants colons de l’autre. Mais au bout de la lecture, même s’il ya quelques exceptions chez les envahisseurs, c’est pour les Amérindiens que l’on éprouve une une inaltérable compassion et unegrande empathie : celle que les membres d’OK OC font vivre avec tant de passion. EFM
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1) Jim Fergus: Mille femmes blanches, La vengeance des Mères, les Amazones,aux Editions Pocket
2) https://fr.qaz.wiki/wiki/Wampanoag
3) Anne Brenon, entre autres ouvrages historiques de référence,vient de publier «Le Deconsolé» aux Editions de La Louve, passionnant roman vrai de la vie de Guilhem Rafart, petit vacher de la Montagne devenu passeur de Cathares pour les soustraire à l’Inquisition, qui s’est converti en Lombardie où s’était réfugiée l’Eglise des Bons Chrétiens, et qui sera finalement capturé par les Chiens de Dieu, «Domini Canes», mais n’a pas disparu des mémoires;comme ces petites graines que l’on sème et qui survivent au hiver les plus rigoureux.
4) Comme dira un général américain*, un siècle plus tard « Les seuls bons Indiens que j’ai jamais vus étaient morts», alors qu’il perpétrait de nombreux massacres durant la Conquête de l’Ouest. Sans savoir qu’un légat du Pape* avait dit à peu près la même chose, «Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens»,en 1209, lors du massacrede Béziers entré dans la mémoire régionale sous le nom de grand masèl, la «grande boucherie» en occitan): 20.000 morts dit la légende, qui exagère toujours en pareil cas, mais en tout cas plus de la moitié de la population qui s’élevait environ à 14.000 âmes.Ce n’était qu’un des massacres de la Croisade contre les Albigeois, ni plus ni moins qu’une guerre de conquête. De l’avantage de lire les livres d’Histoire, sachant que les armées tiennent toujours un compte précis de leurs victimes, compte que l’on retrouve plus tard dans les archives...
* Je ne leur ferai pas l’honneur de citer leurs noms.