Drôles d'Oiseaux
Belle Oiseau
Ne cherchez pas son nom dans dans un guide d'ornithologie américaine. Il n'y est pas et n'y a jamais été. Pour la simple raison que... ce n'est pas un Oiseau mais un Osage (à quatre lettres près on pouvait s'y tromper). Et pas n'importe lequel. Belle Oiseau (en français dans le texte) était un chef. On ne sait pas quand il est né, seulement quand il est mort : en 1804.
Chez les Osages, c’est avec les patronymes qui sont passés dans l’histoire que l’on a les plus belles surprises. Evidemment, la plupart étaient des chefs, ceux qui signaient les traités notamment et dont le nom figure au bas des documents. En fait, ne connaissant pas l’écriture, les Osages « touchaient la plume », c’est à dire s’en servaient pour tracer leur marque.
Que penser d’un chef nommé Sans Nerf, sinon qu’il devait en toutes circonstances garder son sang-froid et contrôler ses émotions ? Un autre chef, du nom de Sans Oreille, avait peut-être subi quelque mutilation guerrière, à moins qu’il fût sourd… ou fasse semblant de l’être. Il y avait aussi le chef Jean Lafon. Voilà qui va faire plaisir à quelques Occitans qui nous lisent. Il n’est pas jusqu’au célèbre chef Pawhuska qui ne soit quelquefois référencé sous la traduction française de son nom : Cheveux Blancs.
Mais Belle Oiseau, parfois orthographié Bel Oiseau, quel beau patronyme ! Quand on pense que certains chef osages ont été appelés Bacon Rind (en français Couenne de Lard), mais cela était dû à l'administration américaine qui a toujours compté (jusqu'à aujourd'hui) de sacrés comiques dans sa hiérarchie.
Alors pour vous consoler, faute de davantage d'informations sur le chef Belle Oiseau (un nom qui ne court pas les rues, vous en conviendrez), je vais vous vous en donner quelques-unes d'informations sur un autre bel oiseau. Un vrai. Et celui-là, mes amis, il court les routes ! Son nom américain ? The Roadrunner (traduction française : le coureur des routes). Son nom scientifique : Geococcyx velox ( en français : géocoucou véloce). Il court les routes, les prairies et les déserts. Le voici...
C'est un bel oiseau, n'est-il pas ? Vous le voyez à l'image tout fier de sa capture : un lézard qui passait par là. Qui c'est le Maître des Routes ? Et gare au rattlesnake (le crotale ou serpent à sonnette) qui traîne par là ses écailles. Le géocoucou ne tolère aucune concurrence en travers de sa route.
Pour vous dire à quel point ce sympathique volatile est célèbre en Amérique, j'attirerai votre attention sur sa carrière cinématographique. Vous l'avez sans doute vu un jour ou l'autre dans les dessins animés que regarde votre petit dernier, le matin à la télévision. C'est une grande star des Warner bros cartoons.
Mais notre géocoucou galope aussi le long des routes d'Oklahoma, dans les prairies du Nouveau Mexique voisin et d'autres Etats encore du Sud Midwest. Un jour, j'étais chez Jenny Hague, une amie de la tribu Delaware qui habite Pawhuska et elle me montra la photo ci-dessous qu'elle avait prise aux environs d'Albuquerque au Nouveau Mexique (cherchez l'oiseau).
Cela inspira son fils, Bill Hague qui travaillait à la fonderie Free de Pawhuska (Oklahoma). Bill nous fit rapidement une réplique concrète du coureur des routes en soudant des tôles de récupération. Admirez le travail de l'artiste...
Un oiseau modèle, vraiment, au sens où il inspire la création artistique. En voici un autre exemple avec l'interprétation qu'en fit un autre ami, de la tribu Hopi celui-ci, Lindberg Namingha.
Assez parlé du géocoucou maintenant. Faisons un grand bond en arrière de quelque 150 millions d'années à la fin du Jurassique de l'ère secondaire. Encore un drôle d'oiseau que celui-là... Enfin, un presque oiseau. Disons plutôt un dinosaure à plumes. C'est l'Archaeoteryx. Il était un peu plus gros que notre ami le Roadrunner, mais tout aussi tignous. Jugez sur pièce.
Les paléontologues sont formels aujourd'hui : certains dinosaures avaient des plumes en plus des écailles. Tiens, comme les poules (vérifiez les écailles sur leurs pattes). Serait-ce donc que les poules sont des dinosaures ? Eh oui, brave gens, les poules et les autres oiseaux sont des dinosaures, rescapés du cataclysme qui causa l'extinction des plus terribles de ces grands lézards. Nous vivons au milieu des dinosaures ! Elle n'est pas belle la vie ? La prochaine fois que vous irez manger du poulet frit du Kentucky chez KFC, pensez que vous croquez du dinosaure. Si seulement ça pouvait vous en dégoûter...
Et les plumes, ça ne pousse pas seulement sur la peau des oiseaux, ou des dinosaures si vous préférez. Il en poussait aussi sur les chapeaux des belles dames des siècles passés. Tenez, je vais vous rappeler un détail de notre histoire fondatrice, celle des six Osages arrivés au Havre en juillet 1827 et à Paris quelques semaines plus tard. Les Parisiennes furent saisies d'une passion folle pour les plumes qu'elles avaient admirées sur les tenues vestimentaires des Osages.
" Une douce folie s’est emparée des Parisiennes.
Dans les cafés on sert le « punch aux Osages », la haute couture lance des « osagiennes » ou «missouriennes» en laine. La mode est aux Osages... Elle fut éphémère."
car si elle ne n'était pas éphémère, la mode, ce ne serait plus la mode.
Voici venu le moment de donner une conclusion à ces propos ornithologiques.
Si seulement Belle Oiseau, le chef osage avait pu faire le voyage jusqu'à Montauban en novembre 1829, c'est certain qu'il aurait su plaire aux dames, avec un nom pareil. Hélas, il s'en était allé au pays des chasses éternelles où paradent les oiseaux de paradis.
J-C. Drouilhet