Le dernier des Mih.OC.ans
INDIAN TIME
Jean-Claude Drouilhet
Indian Time !... l'expression est habituellement accompagnée d'un geste désinvolte. Rien ne presse ; I a pas foc al tipi ; on verra ça demain... ou plus tard. Nous sommes dans l'Indian Time, c'est à dire hors du temps efficace qui est celui du business, du Time is money, des compétitions sportives, scolaires et économiques.
Moi, qui suis un ancien, j'ai du mal à courir partout. J'ai connu un autre rapport au temps auquel correspondait un autre rapport à l'espace. L'espace utile c'était celui du voisinage, de la communication directe en temps réel. La communication im - média -te. Le face-à-face avant le face-de-bouc. Avec des moyens adaptés à ces échelles. Un autre monde...
maintenant que nous avons tout terminé, nous fumons la pipe sans tabac
C'était le temps où la simple cueillette des champignons passait, pour le citadin, par un parcours à bicyclette d'une distance variant de cinq à quinze kilomètres... et retour. Un effort qui décourageait le vandalisme et incitait à une récolte parcimonieuse.
L'espace utile s'est mondialisé ; la communication s'est médiatisée ; l'automobile s'est climatisée (ce qui est fort utile pour conserver intacts jusqu'à la ville les quelque soixante kilos de cèpes qui seront transférés dans le congélateur pour être dégustés, parfois, deux ou trois ans plus tard... Indian Time !)
L'automobile, justement, parlons-en ou plutôt citons le professeur Jean-Pierre Dupuy* qui a calculé que "le Français moyen consacrait plus de quatre heures par jour à sa voiture, soit qu'il se déplaçât d'un point à un autre dans son habitacle, soit qu'il la bichonnât de ses propres mains, soit surtout qu'il travaillât dans des usines ou des bureaux afin d'obtenir les ressources nécessaires à son acquisition, à son usage et à son entretien [...] Si l'on divise le nombre de kilomètres parcourus, tous types de trajets confondus, par cette durée - où temps généralisé - on obtient quelque chose de l'ordre d'une vitesse Cette vitesse que nous avons nommée généralisée est d'environ sept kilomètres à l'heure, un peu plus grande donc que la vélocité d'un homme au pas, mais sensiblement inférieure à celle d'un vélocipédiste."*
On mesure le progrès accompli en un siècle ! Les accélérations vertigineuses auxquelles nous sommes tous soumis nous infligent le stress, un mal du siècle dont on ignore même le nom français. La multiplication des déréglements psychiques engendre des déréglements sociaux. Nous vivons la mondialisation des temps modernes.
Alors, Indian Time ? Ne faudrait-il pas aujourd'hui actualiser la formule, introduire un nouveau rapport au temps et à l'espace ? Impossible, objectera-t-on, sans changer les mentalités. Les calculs du genre de celui du professeur Dupuy, qui intègrent tous le paramètres d'un système, peuvent certainement y aider. Auront-ils une force de persuasion suffisante pour dévier et ralentir une situation qui s'oriente "à fond la caisse " vers une catastrophe ? Rien n'est moins sûr.
L'enjeu paradoxal est donc le suivant : vivre avec son temps au régime de l'Indian Time. En d'autres termes le problème s'énonce : comment moderniser et crédibiliser l'Indian Time ?
Que ceux qui ont des solutions ou des pistes à proposer les expriment sans réserve ci-dessous, à la rubrique "commentaires". Lâchez vos utopies !
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* Jean-Pierre Dupuy, "Pour un catastrophisme éclairé", Seuil, mars 2002 --- JP Dupuy est ingénieur Polytechnique-Mines, philosophe et professeur à Stanford