Vente aux enchères de masques sacrés
Une délégation Navajo
à Paris
Marie-Claude et Edgard Strigler
Lundi 15 décembre a eu lieu, pour la quatrième fois depuis 2013, une vente de kachina et de masques tribaux à l’hôtel des ventes de Drouot. Des objets hopi figuraient au catalogue lors de chacune de ces ventes et, à chaque fois, la tribu a essayé de faire opposition.
En effet, les masques hopi sont portés par des danseurs lors de cérémonies, et sont considérés comme des entités vivantes car, grâce à eux, les danseurs « deviennent » les Êtres Sacrés qu’ils représentent.
Masques proposés à la vente le 15 décembre
Paris est en passe de devenir un lieu privilégié pour les ventes d’art sacré amérindien parce que, contrairement aux États-Unis, elles se font en France en toute légalité. Aux États-Unis, la loi sur le rapatriement des objets sacrés et les restes humains (NAGPRA), votée en 1990, demande aux institutions muséales et universitaires (toutes celles qui reçoivent des fonds fédéraux) de recenser dans leurs collections tous les objets tribaux susceptibles de relever de cette loi et d’en informer les tribus concernées. Celles-ci peuvent désormais demander leur rapatriement. Elles redonnent une sépulture aux restes de leurs ancêtres (qui garnissent des kilomètres d’étagères dans les musées) et, avec les cérémonies adéquates, « revitalisent » les objets sacrés, que les hommes-médecine peuvent à nouveau utiliser lors de rites guérisseurs.
Le 15 décembre, Drouot fourmillait de micros et de caméras. Des personnalités étaient présentes : un membre de l’ambassade des États-Unis, Jean-Patrick Razon (à la tête de Survival International), l’avocat Pierre Servan-Schreiber… Les vigiles étaient aux aguets, prêts à empêcher tout débordement. Alain Leroy, le commissaire priseur, avait prévenu dès l’abord, qu’il n’admettrait aucune agitation et, de fait, quelques personnes ont été expulsées de la salle.
Jean-Patrick Razon (à gauche) lors de la restitution d’un objet sacré aux Hopi après une vente « sacrilège » à Drouot.
Que se passait-il donc ?
Une délégation de la Nation Navajo était venue spécialement à Paris pour cette vente, dans l’intention d’acheter des masques de Yeibichei, utilisés pour les danses de la dernière des neuf nuits que dure la Voie de la Nuit, l’un des principaux rites guérisseurs navajos.
Le vice-président de la Nation Navajo, Rex Lee Jim, s’était déplacé, accompagné, entre autres, de Leonard Gorman, président de la Commission des droits de l’homme de la tribu et du directeur de la communication du groupe de pression navajo à Washington , Jared W. King.
Le vice-président de la Nation Navajo, Rex Lee Jim ( à droite) et ses deux adjoints, tout réjouis d’avoir pu mettre les masques dans leur valise, prêts à « rentrer chez eux ».
Arrivés le vendredi soir, ils ont été reçus le samedi matin par Maître Alain Leroy, commissaire-priseur, en présence d’un représentant de l’ambassade américaine et de quelques universitaires français, spécialistes des études amérindiennes. Le commissaire priseur accepta de fermer la salle une demi-heure, afin qu’ils puissent se recueillir devant les masques ; le lundi après-midi, ils ont assisté à la vente, qui commença par des kachina et des masques hopi, zuni et de divers pueblos, dont les prix ont parfois atteint des hauteurs vertigineuses. Ils avaient auparavant refusé de répondre aux journalistes qui, en toute indiscrétion, insistaient pour savoir de quelle somme ils disposaient ; mais ils devaient se demander s’ils n’allaient pas vider les coffres de la tribu… Heureusement, (peut-être par respect pour leur démarche ?), les enchères ne sont pas trop montées et la délégation a pu repartir avec les masques soigneusement emballés dans une valise, prêts à être remis à un homme médecine qui va s’en occuper. Comme a dit le vice-président : « Ils rentrent à la maison. »
Lors de la dernière nuit de la Voie de la Nuit, quatorze danseurs (et parfois, danseuses) revêtent ces masques cagoules et rythment leurs pas avec leurs hochets-calebasses. Tout l’équipement appartient à l’homme-médecine qui dirige la cérémonie. C’est lui qui prête leur tenue aux danseurs.
Sam Begay, homme médecine navajo, prépare une peau de loup qu’un danseur va glisser dans sa ceinture, dans le dos.
Chaque nouvelle vente de masques sacrés fait polémique. Il suffit de regarder les journaux, que ce soit le Figaro, la Croix, le Parisien… Les Hopi et Survival International ont, dès la première vente, engagé une procédure judiciaire pour s’y opposer. Devant leur échec, ils ont cette fois engagé une procédure judiciaire pour obtenir l’identité des vendeurs et des acheteurs, ce qui a été catégoriquement refusé par le Commissaire priseur et par le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Les Navajo ont préféré donner la priorité à la discussion, obtenir de pouvoir prier sur et pour les masques, et annoncer officiellement qu’ils avaient fait le déplacement pour les acheter. Ils avaient déclaré qu’ils avaient été volés, mais qu’ils ne pouvaient pas en apporter la preuve.
Ces ventes sont donc toujours légales en droit français, mais on en parle, des objets sont rachetés par des fondations et des institutions pour être rendus à la tribu dont ils sont originaires. La venue des Navajo a été annoncée à la radio, sans commentaires particuliers, mais leur démarche semble avoir inspiré le respect.
Leonard Gorman, président de la commission des droits de l’homme de la tribu, qui a enchéri, s’empresse d’envoyer un message à la tribu.
Marie-Claude Strigler traduisait pour la délégation